Jeudi 3 novembre 2011 à 0:51

Et sinon, c'est comment à Strasbourg ?

Bon, c'est vrai, cela fait plus d'un mois que j'y vis, que j'étudie à l'école d'orthophonie, et je n'en ai toujours pas dit un mot. En cette semaine peu chargée, je pourrais peut-être commencer. Comme tout un chacun le sait, si tout un chacun a eu un jour la bonne idée d'y mettre les pieds, Strasbourg est une chouette ville. Cela n'a pas suffi à me réjouir, car j'appartiens à Besançon - mais ce soir, je vais essayer de ne pas geindre à propos de Besançon et de ses habitants qui me manquent. Strasbourg, c'est la ville étudiante par défaut, le choix obligatoire de tout lycéen alsacien (sauf exceptions qui se lancent dans des formations rares). La plupart de mes amis et connaissances étaient partis à Strasbourg après le lycée. Quand je leur rendais visite, je ne pouvais pas me promener dans les rues strasbourgeoises sans y croiser quelqu'un que je connaissais de près ou de loin. Moi, j'étais allée me planter sans personne, dans une ville que je ne connaissais pas du tout, à Besançon. J'ai eu le coup de foudre, et j'ai passé une année merveilleuse (je ne le répéterais jamais assez). Quitter Besançon était un déchirement ; aller à Strasbourg comme tout le monde, c'était une régression. J'ai eu l'impression d'y retourner, alors que je n'y avais pourtant jamais vécu. Après avoir appris l'indépendance, m'être créé une vie de toutes pièces, revenir là où je connaissais tellement de gens, là où on me connaissait, je me sentais de retour à la case départ. Bien sûr, j'étais heureuse d'avoir intégré une école rapidement, j'étais heureuse d'avoir été prise près de chez moi, que ce soit tombé sur Strasbourg et non pas à l'autre bout de la France, et de me rapprocher de certains amis. Mais que voulez-vous, quand on a trouvé son chez-soi, toutes les bonnes raisons du monde n'atténuent pas la peine de le quitter.
Ce qui m'inquiétait le plus, en allant à Strasbourg, c'était d'être loin de Mathieu. Loin de chez moi et de l'homme que j'aime, cela faisait beaucoup. Avant la rentrée, j'avais très peur de ce que j'allais découvrir sur mon école. Je n'étais au courant de rien. Je n'avais aucune idée du genre d'emploi du temps que j'allais avoir, de mes vacances, des modalités d'examen, de redoublement... J'avais peur de ne pas pouvoir prendre le train à temps pour rejoindre Mathieu dès le vendredi soir, un weekend sur deux. J'avais peur de devoir travailler plus dur que pour le concours. Et j'avais peur que lui doive travailler tellement dur qu'il en viendrait à me délaisser, voire à m'abandonner complètement. J'en ai fait un cauchemar une fois, dans mon appartement (que j'avais inauguré avec lui cet été), et il m'a certifiée qu'il n'avait aucune envie de m'abandonner. Je lui ai fait confiance.
Le jour de la rentrée, j'ai appris que j'aurais des vacances scolaires normales, un emploi du temps correct, pas de devoirs, beaucoup de stages à faire en école, et tous les vendredis libérés pour les stages. Ce matin-là, c'était l'allégresse en mon for intérieur : j'allais avoir du temps pour moi, j'allais avoir du temps pour Mathieu. L'année s'annonçait très bien. J'avais retrouvé Noémie (camarade de fac), et Nikita (camarade d'oral du concours). L'après-midi, les deuxième année (au singulier) nous ont embarqué dans un rallye photo à travers la ville. La promenade a duré plus de deux heures, et nous avons fini au bar sur un quai. Cela a suffi pour faire évoluer un peu mon regard sur Strasbourg. Nous sommes restées là un bon bout de temps, avec nos mojitos et nos cigarettes, à faire connaissance. Quand je suis rentrée chez moi, il était vingt-deux heures, je n'avais pas mangé, et j'étais très satisfaite de cette première journée, pleine de confiance et d'enthousiasme.
La première semaine, nous avions juste quelques cours, sans attaquer tout de suite le rythme normal. De bons profs en cours intéressants, j'ai quand même réussi à me trouver un problème. Pour la première fois de ma vie, j'assistais à des cours qui avaient une importance pour le restant de mes jours. Pour la première fois, je ne devais pas me contenter d'apprendre pour avoir de bonnes notes dans le bulletin, ou au bac, mais pour devenir une professionnelle, et une bonne professionnelle. Pour la première fois, chaque minute de cours devait servir à mon futur métier. Pour la première fois, j'avais une énorme responsabilité en prenant mes notes. Et les responsabilités ont tendance à me faire peur. A l'école, j'ai toujours aimé que les exercices ne servent à rien dans la vie. Passion pour l'inutile ? Pas vraiment. Plutôt la trouille que le résultat de mon calcul de maths puisse avoir des conséquences néfastes dans la réalité.
Cette première semaine, d'autres choses encore m'ont mise mal-à-l'aise, souvent pour une histoire de responsabilités d'ailleurs.
1) Sept semaines de stages à chercher, à trouver et à caser dans l'emploi du temps, pendant les vendredis et les vacances, à planifier soi-même.
2) On nous proposait tous les jours de nous inscrire à des conférences, à la chorale, de participer aux weekends spécial associations, spécial troubles dys, spécial rassemblement de tous les étudiants orthos de France à l'autre bout du pays...
3) Notre association étudiante nous a réunis dans le but de nous mobiliser pour une réforme de notre formation, a) sans vraiment nous expliquer pourquoi une réforme était nécessaire, b) sans donner de véritables arguments expliquant pourquoi un master était la solution, c) en essayant de nous convaincre sans vraiment discuter, d) en nous demandant directement de proposer des actions de mobilisation, e) rappelons que nous étions entrés à l'école trois jours plus tôt et que nous ne connaissions pas assez notre formation pour pouvoir la critiquer et envisager une réforme.
Bref, noyée dans tout ça, j'avais l'impression d'entendre de tous les côtés "Engagez-vous ! Engagez-vous !", comme s'il n'y avait plus que notre futur métier qui comptait, comme si on devait aussi y consacrer tout notre temps libre. Ca m'a mise en rage. Quand on me demandait si j'allais participer à tel ou tel événement et que je répondais que je ne serais pas là, on s'étonnait toujours : "Tu rentres tous les weekends ?". Et moi de me justifier que je ne vais pas voir mes parents à chaque fois, mais que j'ai mon copain à Besançon. Je culpabilisais un peu de donner une image de réfractaire, et j'enrageais de culpabiliser. J'avais un peu envie de crier mais merde, c'est pas parce que je ne suis pas mariée et que je n'ai pas d'enfants que je n'ai pas le droit d'avoir une vie privée ! Idem pour le sport. A mon grand étonnement, tout le monde autour de moi avait envie de s'inscrire au sport. Quand on me posait la question, et que je répondais que je ne comptais pas faire de sport, encore de l'étonnement. Moi, au contraire, j'étais étonnée rien qu'à entendre parler de sport. Du sport, pour quoi faire ? Le seul sport que j'ai envie de pratiquer, c'est faire l'amour ! Cette pensée-là en a entraîné une autre, gênante : en fait, je n'ai pas d'autre but que de faire l'amour. Ma seule ambition dans la vie, c'est de faire l'amour. Cette phrase tournait en boucle dans ma tête pendant quelques jours. Et Mathieu me manquait. Mathieu était loin, Mathieu était noyé dans son travail. Quand je me sentais agressée par le flux de sollicitations venues de mon milieu d'études, je pensais à lui. Quand j'angoissais parce que j'avais l'impression que ma vie se jouait à chaque heure de cours, je pensais à lui. Quand je m'opposais à ce qu'il n'y ait plus que le domaine de l'orthophonie dans ma vie, je pensais à lui. Et je me confiais à lui, et il savait toujours me rassurer. Et je comptais les jours qui me séparaient des retrouvailles. Mathieu était mon moteur, le centre de mon existence, ma force et ma faiblesse. A l'approche des retrouvailles, j'allais beaucoup mieux, et de mieux en mieux. La grève inopinée de la SNCF a retardé cet instant de vingt heures, j'en ai pleuré plus que jamais je n'avais pleuré dans ma vie. Pourtant je pleure très peu et très rarement, même quand je suis au fond du trou. Ce soir-là, je ne sais pas ce qu'il s'est passé en moi, mais je commence à pencher de plus en plus pour la crise d'hystérie, la vraie crise d'hystérie au sens clinique du terme. Même si je me doute bien que, rationnellement, n'ayant de comportement hystérique en temps normal, je ne suis sûrement pas un cas pathologique. Alors appelons ça une crise d'amour. J'ai ouvert les vannes de toutes mes angoisses et mon manque de lui accumulés depuis la rentrée.
Quand je suis arrivée à Besançon en covoiturage, le lendemain, j'avais le sourire de cet été, le sourire mythique de quand je venais à Besac pour 24 heures, 48 heures, 10 jours dans le seul but de profiter de la vie. Le sourire qui avait tellement charmé mon homme. Je marchais vers chez lui en me sentant chez moi. La ville criait "bienvenue à la maison". Je savourais un bonheur intense. La clé de son appartement était sous le paillasson. Weekend délicieux, dimanche gâché dès le réveil par la pensée du départ. Vie gâchée, trois jours plus tard, par la surprise de l'abandon.
J'ai écrit quoi, en début d'article ? Que j'essaierai de ne pas pleurnicher à propos des bisontin(e)s qui me manquent ? C'est drôlement raté. Mais comment ne pas parler de Mathieu si je dois raconter mes débuts strasbourgeois ? Il n'était pas physiquement présent, mais c'est son omniprésence dans ma tête qui a été responsable de mon moral et de mes ressentis en cette période. C'est toujours le cas, d'ailleurs. On ne peut pas éradiquer le centre de sa vie.
Alors Strasbourg peut aller, même si ma personne ne va pas. C'est une ville agréable, je suis apparemment dans une bonne école, les cours m'intéressent, je fais partie d'une super promo, je suis entourée de chouettes personnes ; concrètement, c'est pas la misère. A la base, je pensais que le but de cet article était de faire un topo de ma vie strasbourgeoise, en partant de la rentrée jusqu'à la petite routine d'aujourd'hui, avec ma formation, ma promo, mes copines, les petits détails quotidiens... Mais j'ai déjà pris tellement de lignes à développer le côté psychique de cette vie que je vais m'arrêter là, et reporter la suite à plus tard, comme toujours.

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Une photo pour soulager vos petits yeux après ce pavé.

Vendredi 28 octobre 2011 à 12:00

"Qu'est-ce qu'il te reste ?
Faire l'impossible ou disparaître quand même
D'où vient le vent."


En journée, on sourit à ses copines, on est contente d'être là, on rit avec les autres, on essaye de se concentrer en cours, on essaye de grappiller la moindre minute supplémentaire de compagnie, on fait ses courses et on paye ses factures. Le soir, seule avec internet, on meurt à petit feu ; on meurt et il faut croire qu'on ressuscite puisqu'on meurt à nouveau, puis encore, et encore. Jusqu'à avoir des traînées de mascara sur les manches, jusqu'à avoir les yeux qui brûlent encore plus qu'en coupant des oignons. J'ai l'impression qu'on a coulé une dalle en béton dans mon estomac, qui comprime mes poumons, qui m'empêche de manger. Non, il ne faut pas croire que ça va mieux.

Lundi 24 octobre 2011 à 0:26

J'ai envie de voir du monde, de sortir un soir par semaine, d'aller au cinéma, au théâtre, de me cuisiner de bons petits plats, d'acheter des vêtements, du rouge à lèvres, des livres, des chaussures pour l'hiver, des ustensiles de cuisine, un nouveau pyjama, une robe de chambre pour Strasbourg. J'ai envie de boire beaucoup de thé et de café pour me réveiller ou me réchauffer, j'ai envie de me lier d'amitié avec certaines personnes, de goûter tous les pains spéciaux et croissants des boulangeries, de porter mon poncho, des gants pour avoir chaud, et puis même d'acheter un bonnet tant qu'à faire, oui j'ai bien dit un BONNET, et j'ai envie de manger du chocolat, et plein de légumes, et des fruits secs et des amandes, des trucs dont je n'ai jamais eu envie, et je n'ai pas envie d'être seule, et je ne sais plus trop si j'ai envie d'un grand lit pour moi toute seule, et j'ai envie d'être motivée à travailler, d'être curieuse, de me cultiver, et j'ai envie de me vautrer dans des coussins, et de trouver que la ville est belle, et d'entrer dans toutes ses boutiques, et d'y acheter des choses inhabituelles, et j'ai envie de trouver des friperies, et j'ai envie de changer de tête, et j'ai envie de fumer, et j'ai envie de confort. J'ai envie que ce soit doux et chaud, parfumé et coloré, et que ça ait du goût, et que ce soit un plaisir pour les yeux et les oreilles. J'ai envie d'user et d'abuser de quatre de mes cinq sens pour endormir le toucher, l'anesthésier, lui faire croire qu'il n'existe rien d'autre que le chaud-froid et le confortable-inconfortable. Une multitude de petites envies pour contrer l'incommensurable besoin de la personne qui manque.

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Lundi 17 octobre 2011 à 22:08

Il était une fois, un garçon et une fille qui ne se connaissaient pas mais qui étaient en vacances à Besançon pendant la même semaine de mai. Il terminait tranquillement sa cinquième année de médecine et elle fêtait son admission récente en école d'orthophonie. C'est l'histoire de ce garçon qui la trouva mignonne à travers la fenêtre du bar où il sortait. C'est aussi l'histoire de leurs amis respectifs qui s'abordèrent entre eux et proposèrent de faire la fête tous ensemble. C'est l'histoire d'un garçon passionnément attiré, dès le premier instant, par une fille qui avait autre chose à faire que de tomber amoureuse. C'est l'histoire d'un garçon qui avait envie de s'engager dans une relation sérieuse avec une fille qui chérissait son célibat. Pour pouvoir l'approcher quand même, il lui mentit en disant qu'il voulait juste profiter de l'instant présent. Il lui dit qu'il ne se posait même pas la question de se mettre en couple avec elle, sachant très bien qu'elle partait à Strasbourg et qu'il s'apprêtait à entrer dans son année d'études la plus difficile. Alors elle arrêta de se méfier, accepta de le revoir, apprit à le connaître et à l'apprécier, jusqu'à ce qu'elle se rende compte que jamais elle ne s'était sentie aussi bien avec un homme, et qu'elle avait envie que cela continue. C'est une histoire d'amour, donc. La plus belle histoire d'amour de notre demoiselle.
L'été terminé, cela devient l'histoire d'un garçon qui entame sa sixième année de médecine, qui doit préparer le concours de sa vie, qui pour la première fois de toute son existence doit tout donner pour son travail. C'est l'histoire d'une fille qui se fait chasser de la tête d'un garçon par la médecine. C'est l'histoire d'une fille tombée éperdument amoureuse au moment où elle en avait le moins besoin, l'histoire d'une fille qui a touché le sommet avec un garçon et qui est devenue dépendante de ce bonheur, l'histoire d'une fille qui dégringole, un mercredi 12 octobre, quand ce garçon décide brutalement d'envoyer le générique de fin de leur histoire d'amour.

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Lundi 10 octobre 2011 à 19:31

Et puis, avant le grand saut strasbourgeois, j’ai passé une semaine à Besançon. Ce n’était pas ma rentrée, c’était la rentrée des autres, en 6è année de médecine comme en fac de lettres. Je vivais chez Mathieu, passant mes journées à me balader et à rejoindre des ami(e)s. J’étais dans ma ville, j’avais un toit, des amis la journée, un amoureux le soir, je ne pouvais pas m’ennuyer. Dans ces rues tant parcourues, je me sentais chez moi, toujours, bien que me sachant nouvelle habitante de Strasbourg. En habitant chez Mathieu, en cherchant Ségolène à la nouvelle annexe de la fac de lettres, j’ai pris de nouveaux chemins, de nouvelles habitudes bisontines ; j’appréhendais la ville sous un autre angle, celle-ci devenait Besançon-aux-mille-visages, mais toujours, elle restait mienne. Ou plutôt, je restais sienne.
Je me suis rendue à l’entrée de la fac le premier jour à midi, heure stratégique pour croiser quelques connaissances. J’attendais en face de la porte. Je regardais cet environnement dont je ne faisais plus partie, et auquel je n’avais jamais vraiment eu le sentiment d’appartenir. La fac n’a pas été ma deuxième maison comme l’ont été le lycée, le collège et l’école. A la fac, il n’y avait nulle part où s’installer pour passer le temps entre deux cours. Tout ce qu’on pouvait y faire, à part aller en cours, c’était travailler à la BU. Nous, on ne travaillait pas à la BU, puisqu’on ne travaillait pas du tout. La fac, on n’avait rien à y faire, alors on fuyait après les cours (quand on y allait), on traînait en ville, on marchait pendant une heure ou deux. A force, on retombait vite sur nos pas, et on finissait par chercher un coin de radiateur dans le couloir. Elle n’était pas trop moche de l’extérieur, la fac, elle était même carrément classe par endroits, mais les amphis à l’air vicié, ceux qui vous détruisaient les fesses, ceux où on avait les jambes compressées, ou les salles dans lesquelles il manquait toujours des tables et des chaises, tout ça ne rendait pas la fac très accueillante. Alors non, je ne me suis jamais sentie chez moi dans ces bâtiments, mais j’étais chez moi au centre ville, j’étais chez moi dans les rues et les parcs et les places et les commerces, j’étais chez moi au 19 rue de la Mouillère. Aujourd’hui, je n’ai plus d’adresse à mon nom dans Besançon, mais j’y suis très bien accueillie. Mon cœur est resté là-bas. Alors la perspective de la vie à Strasbourg pour quatre ans, malgré tout ce qu'on a pu dire de génial sur Strasbourg, a été difficile à intégrer. Et les débuts ont été (et sont toujours) parfois un peu rudes. Même si j'ai digéré Strasbourg, même si j'ai tout à fait conscience de ses atouts et de ma chance d'y avoir atterri, Besançon et surtout la vie que j'y ai menée ne sortent pas de ma tête.

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