Jeudi 12 mai 2011 à 17:23

La première chose que j'ai faite, après avoir vérifié mes horaires de passage sur la liste, a été de chercher le nom de Noémie pour voir si elle aussi était arrivée jusqu'à l'oral. Elle y était, je l'avais deviné. J'ai tourné un peu jusqu'à ce qu'on me dise où se trouvait la salle 302 et je me suis rendue à l'étage indiqué. Les filles qui attendaient devant les salles 301 et 302 étaient éparpillées un peu partout, seules ou par petits groupes, et je me suis assise à une table ronde avec une fille visiblement plus âgée que moi, qui - je l'apprendrais plus tard - s'appelait Bérengère et était instit'. Puis, quand j'ai compris que les filles avec lesquelles je passais l'oral de groupe s'installaient à la table d'à côté, je les ai rejointes. L'ambiance était bonne, nous riions un peu. Nous n'étions que deux à n'avoir pas fait de prépa, plus une qui venait de prépa psychomotricienne. Un monsieur est arrivé, que je me souvenais l'avoir vu à l'écrit (deux hommes dans une salle de cinquante personne, à un concours d'orthophonistes, c'est déjà presque un exploit), et il s'est présenté à nous : Roland, 45 ans, en reconversion professionnelle. Le tour de table a été stoppé par l'appel à entrer dans la salle. Une fois les neufs personnes assises autour d'une table carrée, les deux psychologues qui nous évaluaient nous ont expliqué le déroulement de l'épreuve de communication orale en groupe, que je connaissais déjà : un sujet de débat est donné, nous avons dix minutes pour préparer individuellement nos arguments pour et contre, puis nous débattons ensemble pendant trente minutes. A la fin du débat, nous disposons de cinq minutes pour écrire nos ressentis. Le sujet est tombé : la culpabilité est-elle nuisible ?
Autour de moi, j'entendais les stylos gratter sur le papier. Je sentais ma tête complètement saturée et je n'avais pas la moindre idée de réponse. La chanson qui tournait en boucle dans ma tête depuis plusieurs jours s'est imposée : "You can't always get what you want, but if you try sometimes, you just might find : YOU GET WHAT YOU NEED". Et parce qu'il le fallait, j'ai commencé à balancer quelques idées sur ma feuille. Séverine a commencé le débat en disant que la culpabilité était nécessaire. J'ai trouvé ça beaucoup trop direct, mais la fille à côté de moi a pris sa suite et je me disais avec un soupçon de panique, "eh doucement les p'tits gars, on se calme, vous allez trop vite" alors j'ai pris la parole en troisième pour dire que ça dépend de quelle culpabilité on parle, puisqu'il en existe plusieurs sortes, entre la culpabilité qu'on peut ressentir en causant de petits torts dans la vie quotidienne et la culpabilité du criminel. J'ai eu un peu de mal à exprimer le bout de mon idée, mais par la suite ça s'est arrangé. Une fois la discussion bien entamée, j'ai pris beaucoup de plaisir à observer et écouter les autres, sans oublier d'intervenir judicieusement, et je me suis dit qu'au moins, si je n'étais pas prise, j'aurais passé un bon moment. Je voyais déjà qui serait bien noté et qui ne le serait pas : deux filles n'ont presque pas parlé ; Roland envoyait du lourd, Nikita et Ludivine n'étaient pas mal non plus, des personnes intéressantes pour sûr. Personnellement, j'avoue avoir été contente de moi quand j'ai sorti mon histoire de culpabilité comme instrument de la société, d'autant plus que les autres ont été très réceptifs à cet argument. Il y a eu une petite dérive sympathique sur l'actualité-Ben-Laden. Nous avons continué jusqu'à ce que les trente minutes soient écoulées.
Quand je suis sortie de là, souriante et détendue, je suis tombée droit sur Noémie qui avait déjà passé l'épreuve individuelle et l'entretient avec la psy. Après avoir discuté un peu des épreuves et autres choses avec elle, j'ai rejoint les filles de mon groupe. Avant d'y être, j'avais un peu de mal à imaginer qu'on puisse être soudées et concurrentes à la fois, mais finalement, c'est tout naturel. L'ambiance était vraiment chaleureuse, toute la matinée j'ai parlé avec des inconnues de toute la France, en attendant de passer devant la psy à 11:30. Cet entretient n'est pas noté, il a seulement pour but de vérifier que les candidats n'ont pas de problème psychologique qui les empêcherait de devenir orthophonistes. Il s'est déroulé tout à fait tranquillement, c'était presque marrant, même si j'ai été un peu déroutée quand j'ai du donner mes qualités et mes défauts. Le pire, c'est que j'ai trouvé plus vite mes qualités (souvenir des lettres de motivation pour les jobs d'été) que mes défauts (il ne faut pas non plus citer de défaut trop préjudiciable), et je me suis sentie un peu con. Mais je ne m'en suis pas trop mal sortie dans l'ensemble, sans donner l'impression d'être complètement imbue de ma personne. J'ai retrouvé Caroline et Nikita pour acheter un sandwich. Les deux venaient du Sud et s'étonnaient de la beauté de Strasbourg et de la douceur de l'air. "Mais en hiver il fait très froid ici, non ?". Pas mal de Méditerranéennes semblaient dire que se retrouver à Strasbourg, "c'est la mort". Ca m'arrangeait plutôt, si ça pouvait libérer des places.
Après avoir pique-niqué dans un parc de la Petite France (vraiment top la matinée, je vous dis), j'ai du me rendre à l'oral individuel pour 13:00. Tous les convoqués de 13:00 se sont vus remettre un corpus de textes et on nous a laissé nous préparer dans une salle. Le but : choisir un des trois textes ayant pour consigne : "Plutôt qu'un commentaire, nous vous proposons le texte comme tremplin de vos réflexions et/ou de vos émotions. Vous disposez de trente minutes de préparation.". Ce qui signifie (je m'étais bien renseignée), qu'il faut se servir du texte (censé avoir un lien direct avec l'orthophonie) pour parler de ses motivations à devenir étudiant(e) en école d'orthophonie. J'ai été assez désarçonné par les textes : je ne voyais PAS DU TOUT le rapport direct avec l'orthophonie. Celui qui me parlait le plus était le deuxième, qui me faisait plutôt penser à la manière dont on accède aux études d'orthophoniste. C'était un texte sur le détour vu comme une perte de temps et d'efficacité ; l'homme efficace, le héros, étant celui qui va toujours droit au but par le chemin le plus court. J'ai commencé à faire des liens et à noter mes réflexions sur ma feuille de brouillon, puis un plan logique m'est apparu et je l'ai réécrit dans l'ordre, proprement. J'étais prête quand une des dames du jury est venue m'appeler. Elle était très souriante, du coup moi aussi.
Je me suis installée face au jury de trois personnes, un ORL (le monsieur qui surveillait ma salle à l'écrit) encadré de deux orthophonistes à l'air avenant. Bonjour, "allez-y, parlez-nous du texte et de vos motivations". Je me suis lancée. J'ai dit un peu n'importe quoi au tout début le temps de faire chauffer la machine, j'ai senti mon visage s'embraser, puis j'ai retrouvé ma fluidité de parole. Bien installée, bonne allure, les mains sur la table ne donnant pas de signe de stress, regard fixé sur mes interlocuteurs, élocution audible et sans hésitation, voix posée ; tous les critères de bonne présentation étaient respectés. Mais en ce qui concerne le contenu de ce que je racontais... J'ai exposé mes idées, mon parcours et mes motivations assez vite, d'une traite. Je savais que le jury n'allait pas m'interrompre et poserait très peu de question, et je voyais arriver la fin de mon discours avec une légère angoisse. Par chance, quand j'ai prononcé le dernier mot de mon plan, le monsieur a immédiatement rebondi : "La photographie, c'est-à-dire ? Vous faites uniquement de la prise de vue ou vous développez aussi, comment ça se passe maintenant à l'ère du numérique ?". La parenthèse sur la photographie a été plutôt chouette et utile, mais une fois fermée, une des orthophonistes m'a demandé de revenir sur mes motivations, même si j'en avais déjà parlé. Ca m'a assez perturbée, j'avais déjà tout dit, j'ai essayé d'étoffer un peu mais au final je n'apportais rien de neuf. Est arrivé le moment où je ne savais plus quoi dire. Le jury non plus. Et là je me suis dit merde. Ils attendaient, et je n'avais plus rien à leur donner. La gentille dame avait cessé de sourire, elle fronçait même les sourcils. Un sentiment d'échec s'est abattu sur moi. Noémie m'avait dit qu'elle avait trouvé l'épreuve trop courte et n'avait pas eu le temps de dire tout ce qu'elle voulait ; moi j'avais fini beaucoup trop tôt. Je manquais de matière. J'étais persuadée que le jury en attendait plus et que je ne l'avais pas satisfait. Le silence était incroyablement pesant. Quand ils ont compris qu'il n'y avait plus rien à tirer de moi, ils m'ont laissée partir. J'ai gardé contenance jusqu'à ce que je sois sortie de la salle. J'étais la seule à avoir fini aussi tôt. Désillusion totale. Je n'y croyais plus. Le matin, j'avais vu des personnes s'exprimer bien mieux que moi. Il devait y en avoir beaucoup d'autres, trente-cinq ce n'est pas beaucoup, à avoir rendu une meilleure prestation que moi. Je suis repartie bien dépitée, même après avoir discuté avec Bérengère l'instit' qui était sortie à la même heure que moi et tentait de me rassurer. Je suis restée un peu dehors avant de rentrer chez Chloé, vautrée sur un banc pour m'aérer le cerveau.
Quand je suis revenue à la maison mardi après-midi, une heure avant les résultats, j'étais blasée, apathique, à demi absente.
Mardi 10 mai, 18:00, heure des résultats, j'allume doucement l'ordinateur. Je me rends sur le site de la fac de médecine et me connecte. Je déroule lentement la page, passant mes notes des précédentes épreuves et arrive en bas, et je lis, dans la ligne Rang au troisième classement : 14è. Admissible. Et après je ne sais plus.

Mercredi 11 mai 2011 à 11:51

Les psychologues qui évaluaient l'épreuve de communication orale en groupe au concours d'entrée à l'école d'orthophonie de Strasbourg ont l'air d'avoir apprécié mon intervention sur la culpabilité comme instrument de la société actuelle, avec pour exemple les salariés des associations humanitaires qui abordent les gens dans la rue pour leur faire donner, et qui leur font bien comprendre que s'ils ne donnent pas, c'est mal, ils sont égoïstes, au lieu de leur montrer que s'ils donnent, c'est une bonne chose pour les démunis.

J'ai réussi le concours.

Je suis acceptée à l'école d'orthophonie de Strasbourg.

Jeudi 5 mai 2011 à 18:17

"Le discours «prépa» est repérable dès les premiers instants et, en tout cas à Strasbourg, très préjudiciable pour le candidat. C’est vous qui allez être choisi(e), alors vendez-vous pour ce que vous êtes vraiment !
Soyez simplement vous-même: vous êtes brillant puisque vous êtes parmi les 80 restants.
[...] Tout est fait pour mettre à l’aise le candidat, donc ne paniquez pas, et si vous êtes stressé et donc peu à l’aise à l’oral, pas d’inquiétude, les jurys tiennent compte de ce que l’oral avec un si grand enjeu a de stressant."

Lundi je meurs.
Mardi je sais si je deviens Strasbourgeoise à la rentrée.

Mercredi 4 mai 2011 à 13:00

Cette nuit j'ai rêvé que j'étais assise dans une salle de cours, qu'on faisait des maths, et que je n'y comprenais rien. Les notions me paraissaient vaguement familières mais tellement loin, alors je me prenais la tête dans les mains d'un air désespéré. Mon voisin de deux places sur ma droite m'a demandé gentiment à la fin si j'avais des problèmes en maths. Il n'avait pas encore son bac, on devait être dans un cours de terminale S. Alors j'ai répondu : "Ben en fait, j'étais déjà en terminale, j'ai eu mon bac S avec mention très bien... puis je suis allée en fac de lettres.". Il a eu un regard compatissant.
La nuit d'avant, j'ai rêvé qu'une limace géante d'un mètre de long, bleu fluo, avec de grands yeux ronds de dessin animé, rampait rapidement et gobait tout rond les êtres vivants sur son passage. Avant qu'elle n'arrive à la hauteur de la copine qui m'accompagnait, j'ai saisi ma claquette [à force de tuer des araignées ces derniers temps] avec laquelle je lui ai tranché la tête, puis je l'ai perforée puisqu'elle semblait encore vivante - après ça elle ressemblait fortement à mon sac en cuir, mais informe et troué - et j'ai cherché du désherbant dans un garage afin de le verser à l'intérieur de la bête, histoire de s'assurer qu'elle était bien crevée. Ca, il n'y a pas de doute, c'était American Psycho. Il faudrait peut-être que j'évite de lire ce livre juste avant de dormir.

Lundi 2 mai 2011 à 19:19

J'ai souvent envie d'écrire, et de gros paquets, mais je me décourage toujours. Pourtant j'ai la tête prête à exploser, et des photos en stock, de la citadelle et ses animaux, de Chloé, du LSK BB, des photos de famille... J'ai relu quelques articles de la période des bacs blancs l'année dernière, c'est justement la semaine des bacs blancs pour les terminales de cette année au LSK. J'ai feuilleté mon agenda de terminale aussi. C'est un autre monde. J'en ai acheté un cette année, qui ne m'a pas servi. Les pages de l'ancien étaient parfois entièrement remplies. J'aperçois des formules de physique qui ne veulent plus rien dire pour moi alors que j'aimais ça. Tout mon potentiel scientifique a été épuisé. Le bilan n'est pas fameux. J'ai encore moins de certitudes sur mon avenir qu'il y a un an. "Il faut du temps, c'est comme ça, il faut plusieurs essais avant d'y arriver", disent les gens, CA PRENDRA LE TEMPS QUE CA PRENDRA. Ils disent toujours ça, c'est pareil pour le permis, "t'inquiètes pas, tu sais, moi je l'ai eu au bout de troisième/sixième fois, tu l'auras bien un jour", oui mais en attendant, ce n'est pas parce que d'autres ont tardé à y arriver que ça va nous coûter moins cher. Mais ils ne savent pas que je n'ai pas LE DROIT de prendre le temps que ça prendra. Ca prendra le temps qu'on me donne, ou ça ne prendra pas. Alors il faudrait peut être que je recommence les fouilles existentielles pour me trouver un métier. Ca va être bien triste à dire, quand je serai installée dans ma vie merdique avec un métier merdique et que j'expliquerai comment je serai arrivée là. Parce qu'il voulait que j'aie la même vie merdique que lui, peut être. Quand je disais que le bilan n'est pas fameux, je pensais à cette désillusion globale qui nous tombe dessus. Nous avons tous fait des voeux d'orientation l'année dernière. Cette année, tout est à recommencer, ou presque. Chloé, Diane et Léa sont allées en médecine. Devant la difficulté de la chose, Diane et Léa ont cherché des alternatives. Diane envisage toutes les solutions possibles. Léa a passé le concours d'inf alors qu'elle a toujours dit qu'elle ne voudrait pas être infirmière. Chloé peut avoir son année, mais elle en doute, elle culpabilise de s'être octroyé des moments de repos pendant les vacances, et a peur d'être déçue par la suite des études de médecine. Quentin n'a pas été pris dans son BTS, alors il a fait un saut par l'IUT d'informatique, qu'il a quitté en décembre. Impossible de trouver du travail en attendant de retenter sa chance. Benoît est en prépa littéraire, ce qui ne sert à rien en soi, et cherche toujours ce qu'il va bien pouvoir faire de sa vie. Oui, nous sommes à peu près au stade de la deuxième chance, alors qu'il a déjà été dur de se décider pour la première. Jeunesse déchue, enfermée dans les débouchées des études. J'ai déjà une première année de licence en poche, mais cette licence ne mène nulle part. J'envie les gens qui s'engagent dans une voie avec une idée précise et qui, découvrant d'autres possibilités, changent leur projet pour quelque chose qui leur plaît encore plus. Moi, je n'ai absolument rien découvert de nouveau, alors de là à découvrir quelque chose d'intéressant... Et pourquoi on s'emmerde à réfléchir intensément à ce qu'on voudra faire toute notre vie alors qu'on changera sûrement de métier entre temps ? On pourrait se contenter d'aller de petit boulot en petit boulot, mais encore faudrait-il qu'il y ait des offres d'emplois dans ce pays. Il y a tellement de points à observer pour choisir les études qu'on va faire : une fois qu'on a enfin trouvé un métier susceptible de nous plaire, ces facteurs entrent en compte : les débouchées, la capacité à exercer ce travail jusqu'à la retraite, l'argent que ce travail va nous rapporter, la durée des études, la localisation des études, le prix des études. Quand ce dernier devient maître de tous les autres, on est déjà à moitié foutus.

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