Ainsi donc, je suis orthophoniste. Depuis presque un mois déjà sur le papier, depuis un peu plus d'une semaine dans la pratique. Tout va très vite, dans ce domaine. Mon début d'activité était déjà programmé avant que je ne sois diplômée - nous avons cette chance rarissime par les temps qui courent. Mes études se sont terminées comme elles ont commencé : la gentille dame qui m'avait accueillie à l'oral individuel du concours d'entrée a été une de celles qui m'a délivrée mon diplôme et, mieux encore, celle qui m'a donné du travail. La boucle est bouclée.
Finalement, la soutenance était une fête. Ce qui m'aura le plus marqué, c'est la bienveillance dont on m'a fait preuve. La veille et jusqu'à l'heure fatidique, de nombreuses personnes m'ont encouragées ; ensuite, les félicitations ont duré plusieurs jours, même quand je ne m'y attendais pas ; en invitant des amis à manger ou en croisant un voisin, le premier mot était "félicitations". Des gens avec lesquels je n'avais pas eu le moindre contact depuis des années, pas même un pauvre like sur Facebook, se sont manifestés. Ma famille presque au complet s'est levée à cinq heures du matin et a fait le déplacement pour assister à mon heure de gloire dont elle n'a pas pigé grand chose. J'ai été entourée de tellement d'amour pendant cette période de soutenance que j'ai oublié qu'il s'agissait d'un événement professionnel.


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La photo où mon président de jury me tient la jambe et que je fais semblant d'être intéressée alors que je ne rêve que d'attraper un bâtonnet de carotte et d'arrêter de parler de choses intelligentes.

J'essaye désormais de parler au passé lorsqu'il s'agit de mes études : "on devait faire tel stage", "quand j'allais à la fac"... Quand je rencontre de nouvelles personnes, je dis "je suis orthophoniste", et je peux même dire où je travaille, ce n'est plus une question de que "qu'est-ce que tu vas faire de ta vie ?". Ce franchissement de palier dans la vie d'adulte me fait le plus grand bien, même s'il m'arrive de hausser le ton le soir à la moindre contrariété, parce que la fatigue, parce que les absents, parce que le faible rapport bénéfices/dépenses, parce que le manque d'infos sur les patients, parce que les affaires du cabinet à gérer alors que je ne fais que passer pour un mois. J'ai hâte d'avoir mon propre poste, avec mes patients que je prendrais en charge depuis le début, avec l'organisation de mon choix. Le job me plaît, mais il manque quelque chose. Ce n'est pas sur mon territoire que j'évolue. J'aimerais déjà grimper d'un palier, passer au moment où je connais bien ma patientèle et mon matériel, où je n'ai pas be
soin de prendre une ou deux heures en rentrant le soir pour préparer les séances du lendemain. Mais pour cela, il faudra attendre de ne plus être remplaçante. Et avant cela, je voudrais bien des vacances. Je n'en ressentais pas le besoin avant, avec mon rythme décousu, mais maintenant j'en rêve. Je pars tôt et rentre tard par rapport au nombre de rendez-vous ; justement, les gens sont en vacances, pourquoi pas moi ? Je suis la deuxième de la promo à avoir commencé à travailler. Néanmoins, je suis contente de ne pas avoir attendu pour réaliser ma première expérience, les vacances n'en auraient pas vraiment été dans cette perspective. Et même si je me plains, ça commence à venir. Les préparations prennent moins de temps, les idées apparaissent plus facilement, je commence à connaître mes outils de travail. J'ai encore quatre semaines pour apprendre à les maîtriser, et alors, quand j'aurais un travail stable, je serais moins mauvaise. Après tous les éloges suscités par le mémoire, la confrontation à la réalité fait un autre effet à l'ego. Mais je m'en sors. Il y a un an et demi, j'allais consulter un médecin pour résoudre des dysfonctionnements de mon système végétatif qui risquaient de me poser problème en situation de stress ultime : la soutenance. En fin de compte, j'ai envoyé paître le médecin, je me suis débrouillée toute seule, et je suis arrivée au point culminant de mes études sans substance médicamenteuse... et sans noeuds dans le ventre.
L'accomplissement, il est là.