Mercredi 26 février 2014 à 20:24

Il y a un peu plus d'un an, dans une période probablement sombre de ma vie, je parlais ici du dégoût que m'inspiraient les transports en commun. Eh bien j'ai changé d'avis. Cette année, je mène deux stages différents pendant les deux après-midis qui y sont consacrés. Ce sont toujours des journées chargées où nous enchaînons quatre heures de cours le matin, une pause déjeuner rapide, une course vers l'arrêt de bus puis cinq ou six heures de stage. Après une journée de douze heures sans répit pour le cerveau, le trajet de retour en bus est devenu un de mes moments de la semaine préférés. C'est le moment où je m'installe à ma place favorite dans un bus quasiment vide pour vingt minutes de tranquillité. Je branche mes écouteurs et je débranche le canal orthophonie. J'absorbe la musique qui m'apaise, je laisse filer mes pensées dans tous les sens, sans contrôle.
Le trajet en bus, ce divin moment où je suis obligée de ne RIEN faire. J'écoute Breezeblocks d'Alt-J pour me mettre en joie, ou je monte le son de The Call of Ktulu pour masquer les cris de l'enfant de deux ans dans sa poussette qui fait un caprice à sa mère complètement dépassée (c'est terrifiant comme tout le monde - moi la première -  juge la parentalité dans les espaces publics restreints). Je jubile parfois du contraste entre ma playlist et la situation, entre ce que j'écoute et ce que j'ai l'air d'écouter, je m'amuse de me pointer en stage avec du Metallica dans les oreilles.
Ce moment de repos incontournable, je le trouve souvent trop court. Pourtant il est déjà tard et j'ai attendu de rentrer pendant toute une journée, mais j'aime physiquement me faire transporter. Dans une voiture ou un autre véhicule, le corps devient mou, se cale dans son siège, bien au chaud. Je n'ai jamais envie de bouger à l'arrivée d'un trajet, à moins que celui-ci ait duré des heures.

Le bus ne me déprime plus - simple question de point de vue, ou de toile de fond. C'est un lieu de détente dans la course quotidienne. Une pause forcée, appréciée maintenant qu'elle est méritée.

Lundi 24 février 2014 à 22:26

Ce semestre est à coup sûr le plus difficile de toute ma scolarité. Je ne développerai pas pourquoi (par dégoût de la surenchère, cf paragraphe suivant), mais j'ai des cernes comme je n'en ai jamais eus, l'urgence m'empêche de m'endormir quand je suis fatiguée, mon eczéma ne part pas et tout le monde m'énerve. Pour une fois, je n'ai pas cherché à effectuer de stage pendant ma semaine de vacances, je vais plutôt tenter de rattraper mon sommeil en retard et de m'avancer sur le boulot qui ne se fera pas tout seul.
Je ne tiens pas à expliquer en quoi consiste le pain que j'ai sur la planche, parce qu'il y aura toujours quelqu'un pour me dire que je ne suis pas la seule à trimer, voire que je ne mérite même pas de me plaindre si on compare à blablabla. Je n'aime pas parler études avec les étudiants en médecine parce qu'ils se croient les seuls à bosser. Certes, je ne saurais jamais ce que c'est de passer une nuit de garde, mais cela ne m'empêche pas de connaître la fatigue, le stress, l'épuisement moral et le travail personnel. Et puis les fameuses contraintes des études de médecine, je les subis un peu par procuration. J'ai morflé par le passé à cause d'elles et je partage ma vie depuis un an avec un médecin en devenir qui est toujours moins disponible que moi. Alors qu'on ne vienne pas me dire que c'est difficile.
A part ça, je me dope aux épisodes de Fringe, j'arrête de boire du lait, je demande une plastifieuse pour mon anniversaire, je raconte des conneries toute la journée avec mes amis pour tenir le coup, j'invite mon mec à un repas de famille et je porte beaucoup de robes. Et j'ai attendu d'avoir 21 ans 11 mois et 16 jours pour faire une soirée Harry Potter entre copines. La Bièraubeurre était parfaitement dégueulasse.

Lundi 10 février 2014 à 18:38

Parlons politique car je suis en colère. Jusqu'ici, je m'étais abstenue de narrer cette affaire qui touche à ma vie dermatologique et à ma contraception, c'est-à-dire à ma vie privée, mais là nous avons atteint un stade qui nécessite un coup de gueule.
C'est de Diane 35 que je veux et que je vais vous parler.

J'ai eu mes premiers boutons d'acné à 12 ans. Quelques gros machins purulents, peu nombreux, assez typique de l'âge. J'ai tout de suite eu droit à un petit traitement local dont je n'ai jamais constaté les effets ; je me suis desséché la peau pour finalement me retrouver avec un acné bien plus important au lycée. Pour ma première contraception, j'ai demandé une pilule agissant sur ce problème. On m'a donc gentiment prescrit Jasminelle, une troisième génération peu dosée qui a certes bien rempli son rôle de contraceptif mais n'a eu aucun effet sur ma peau. Alors mon dermato de l'époque, confiant, m'a fait passer à sa grande soeur Jasmine qui a été tout aussi inefficace. J'étais presque sortie du lycée quand ma mère a eu la bonne idée de me dire : "Il suffit que tu prennes la Diane 35 et tu n'auras plus rien du tout !". Pourquoi le monde m'avait-il caché ça si longtemps ?
Mon généraliste m'a prévenue que je risquais de prendre du poids et qu'il ne faudrait pas venir râler ; au contraire je me réjouissais. L'effet de la Diane a été immédiat au niveau du cuir chevelu, et n'a pas tardé à se faire sentir sur ma peau. Le bonus, c'est qu'elle coûtait trois fois moins cher que ma première pilule. J'étais ravie et au bout de quelques mois j'ai fait la prise de sang traditionnelle, qui a alarmé ma gynéco. Rien d'inhabituel : mes taux de cholestérol et de triglycérides avaient toujours été supérieurs à la moyenne (un truc familial), mais voilà qu'on me demandait de faire un régime si je voulais garder ma pilule. Moi, un régime ? Alors que j'ai un indice de masse corporelle proche de la maigreur et que je mange sainement ? Le généraliste ne l'entendait pas de cette oreille : "Pas la peine de faire un régime, il faut arrêter la pilule. Je vais te prescrire des antibiotiques qui auront le même effet sur l'acné.". J'ai dit d'accord, si vous le dites, j'ai bouffé les antibios en respectant la posologie, et mon acné est revenu en plus étendu. J'ai détesté cette période : j'avais plus de boutons que jamais et mes seins, pas bien gros au départ, avaient rétréci.
Mais je ne me suis pas laissée faire : peu de temps après, contraception oblige, j'ai repris les plaquettes qu'il me restait sans laisser le choix à mon généraliste, qui en échange m'a prescrit des prises de sang régulières. Ces dernières ont montré une diminution et une stabilisation à la normale de mes graisses sanguines, ce qui m'a permis de garder Diane 35 et de m'épanouir avec une peau à peu près belle... mais pas pour longtemps.
Début 2013, l'affaire ultra-médiatisée sur les dangers de Diane 35 et l'annonce de son retrait sont venus tout remettre en question. Personne n'y comprenait rien, mes médecins, les profs de fac de médecine, mon copain qui me disait que le paracétamol tue bien plus de personnes chaque année, et moi, la première concernée. "Je ne vois qu'une seule solution, a déclaré ma dermato adorée : la contrebande. Allez l'acheter en Allemagne." J'avais jusqu'au mois de mai pour faire des stocks en France avant le retrait. Je ne croyais pas à une suppression définitive, même si on me la certifiait. J'ai donc vécu sur mes réserves, "en attendant", pendant six mois, puis j'ai tenté l'Allemagne. A la caisse, la pharmacienne m'a annoncé :
<< Trente-trois euros et trente centimes, s'il-vous-plaît. >>
J'ai eu un instant d'incrédulité.
<< Euh... Vous n'auriez pas un générique ? >>
Elle a mis dix minutes à explorer son ordinateur pour trouver le seul et obscur générique disponible, à vingt-quatre euros. J'avais toujours mal au cul, mais j'ai payé quand même.
En France, la différence entre l'originale et le générique était de neuf centimes. En France, Diane 35 coûtait 9,99 €.
Je suis repartie en me disant qu'il allait peut-être falloir que j'accepte de passer à autre chose. Le problème, c'est que j'avais bien exploré les possibilités : un médecin me disait prenez celle-ci, un autre me disait prenez celle-là, un troisième déclarait qu'on m'avait dit n'importe quoi et qu'il n'existait aucune autre pilule capable d'agir sur la peau. Et évidemment, ce qui ressortait du discours de chacun, c'était : "Oh mais maintenant vous avez vingt-et-un ans, l'adolescence c'est fini, vous n'aurez plus de boutons.". Oui madame, sauf que mes antécédents familiaux montrent qu'on peut arrêter la pilule à 40 ans et retrouver son acné juvénile. Si j'ai encore quelques boutons sous Diane 35, qu'est-ce que ce serait sans ?
Deuxième bouleversement de l'histoire, j'ai appris en novembre que ma pilule idéale allait revenir sur le marché en janvier 2014 et mon ordonnance renouvelable pour un an était prête. Je n'étais que joie. Je savais bien que ce ne serait que provisoire ! Je le savais, que l'Europe n'avait pas approuvé !

Le jour de retourner à la pharmacie après la prohibition est arrivé, c'était il y a une heure et demi. Quand j'ai tendu l'ordonnance, j'avais encore l'impression d'être une hors-la-loi, de passer pour une imprudente, une inconsciente qui joue avec sa santé, au bord de la thrombose artérielle. La pharmacienne est partie dans la réserve sans que j'aie le temps de lui demander le générique, et elle est revenue avec une boîte portant une étiquette orange avec la mention 33. J'ai demandé le prix, pour être sûre. Il devait y avoir une erreur.
<< Trente-trois euros et trente centimes.
- Mais... Elle coûtait neuf euros avant...
- Je sais. C'est parce qu'il n'y a plus de demande.
- Vous avez un générique ?
- Non, c'est tout ce qu'on a. C'est la première que je délivre depuis la remise sur le marché. >>

J'ai eu envie de pleurer. Même les précautions que j'ai prises pour ne pas interrompre mon traitement, même la rapidité de réaction de l'Europe pour lever l'interdiction n'ont pas suffit à ce que tout rentre dans l'ordre.
A cause d'une décision arbitraire, la pilule magique qui me coûtait 3,30 € par mois pour avoir une contraception efficace, une belle peau et peut-être même de beaux seins, a vu son prix augmenter de 336 %.

Je m'effondre en moi-même de vivre dans un monde aussi absurde.

Mardi 4 février 2014 à 23:51

Parfois j'ai mal pour la France quand je rencontre un enfant de 8 ans qui ignore ce qu'est un mouton, quand je croise dans le bus un gamin de 13 ans qui fume une cigarette électronique à côté de sa mère, ou encore quand une fille de CM1 me dit qu'un coq, c'est ce qu'il y a derrière le téléphone.
Parfois un patient m'appelle par mon prénom et ça me fait chaud au coeur.
Parfois l'amitié cache des brasiers qui explosent sans prévenir.
Parfois les gens m'emmerdent et je ne me laisse plus faire.
Parfois je pleure parce qu'il n'y a plus de barrières à mes émotions.
Parfois j'oublie les autres Lise que j'ai été et je ne sais pas comment accorder ce participe passé.
Parfois je me compare encore à mon ancienne image de moi.
Parfois j'aimerais écrire.
Souvent j'aimerais rattraper mon sommeil en retard mais je ne me couche pas à l'heure prévue.

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