Jeudi 29 mai 2014 à 13:00

On nous a dit dès le départ de choisir un sujet orthophonique et bien ciblé. On nous a dit que nous pouvions prendre la suite d'un autre mémoire, que nous pouvions même choisir un sujet déjà traité par le passé, puisque chacun a une approche personnelle. On nous a dit que nous n'étions pas là pour révolutionner l'orthophonie en choisissant des thèmes absolument jamais abordés. On nous a dit que les seuls sujets refusés seraient les trop vastes et les pas assez professionnels.
Pendant un an nous avons réfléchi et travaillé à notre sujet personnel, pendant un an nous avons bataillé pour trouver quelqu'un qui accepterait de nous encadrer. Nous avons demandé l'avis de personnes importantes pour savoir si nous étions en bonne voie ; nous avons persévéré grâce à leurs encouragements. Nous avons cherché des renseignements à propos de la foutue rédaction du projet, sans réponses claires. Nous nous sommes arrachés les cheveux, nous nous sommes conseillés entre nous puisque nous étions livrés à nous-mêmes, nous avons formaté tant bien que mal nos idées en dix lignes.
On nous a dit qu'un avis réservé concernait la forme de ces dix lignes, et non le fond.
Tout ça pour s'entendre dire : "vous avez deux semaines pour trouver un angle d'approche plus original".
Il y a des jours comme ça, ce n'est pas le premier mais c'est de loin le plus révoltant, où cette école m'inspire des pulsions incendiaires.

Jeudi 15 mai 2014 à 13:53

Je suis un peu perdue dans ma temporalité, depuis trois jours que je joue à l'écrivain. J'ai ressorti tous mes cahiers, tout ce que je n'ai jamais écrit ici, et je remue les souvenirs. C'est la foire aux fantômes, la plongée dans la Pensine. Je m'y croirais presque. La musique tourne toute la journée pendant que j'écume mon passé. Je traverse brièvement mon adolescence, puis Besançon, Strasbourg, Besançon, Strasbourg, avec un grand nombre de personnages et un fil rouge qui fait son apparition de temps en temps, disparaît et toujours revient. Devine qui c'est.
Je ris toute seule parfois devant quelques phrases magiques de mes copines bisontines, de véritables trésors.
Je réécris l'histoire et il m'arrive de la trouver dérisoire. Nous nous sommes entre-déchirés pour si peu, parfois. Pour des actes manqués. Hier je me suis arrêtée en pleine Crise de Nouvel An, j'ai terminé un dialogue avec Quentin et j'ai enfourché mon vélo.
J'ai débarqué seule à la fac de musicologie, en me demandant ce que je pouvais bien foutre là. Je suis entrée dans une pièce noire et quand mes yeux se sont habitués à la pénombre, j'ai vu Quentin et la joyeuse surprise sur son visage. Céline était là aussi, bien sûr. Saut du passé dans le présent, mélange de toutes les époques avec tous ces fac-de-lettreux autour de moi, je n'ai plus l'habitude et ça me rend nostalgique. Si ç'a avait eu lieu à Besançon, je serais tombée amoureuse de la moitié des musiciens. Mais nous sommes en 2014, je suis presque une grande personne et j'ai troqué les artistes, les chevelus, les anarchistes et les fumeurs de roulées contre un futur médecin écrasé par le boulot qui se demande quand est-ce qu'il aura le temps de profiter de sa jeunesse. La jeunesse, mon amour, c'est passé.


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Lundi 12 mai 2014 à 16:49

J'ai retrouvé Pierre. Pierre, c'était un mec de 17 ans qui courait après la mort pour rejoindre son frère jumeau disparu dans un accident de voiture. Un lycéen strasbourgeois, ramené à la vie et à l'amour par son jeune prof plus âgé que lui. Prof de quoi, je ne me souvenais plus. Je l'ai recroisé par hasard sur l'étagère des P en littérature française. J'ai vu Anne Percin sur la couverture, je n'ai pas lu la quatrième, à peine un oeil au titre, le livre était dans mon sac. Je me souvenais que Point de Côté m'avait marquée, quand j'étais moi-même au lycée ou peut-être encore au collège, à l'époque du Bibliobus. C'était avant Djian, avant les romans pour adultes, quand j'épluchais les rayonnages adolescents ; avec le temps, difficile de me rappeler ce que son style avait de si particulier, mais je n'ai jamais oublié le coup de coeur. J'avais noté ici qu'Anne Percin écrivait comme je rêvais d'écrire. Et nous étions entrées en contact, ici même. Anne Percin avait atterri sur mon blog en tapant son nom sur Google, avant que je ne me dé-référence des moteurs de recherche. Un grand moment, qui a rendu le livre encore plus vivant, même éternel dans ma mémoire. J'ai souvent repensé à elle, mais je croyais qu'elle s'en tenait à la littérature pour adolescents. Plusieurs fois, j'ai croisé l'un ou l'autre de ses romans, mais j'avais grandi. Par lâcheté et par prétention, je ne les ai jamais lus. Crainte d'avoir passé l'âge et de ternir mon souvenir doré. Puis je l'ai retrouvée au rayon adultes et j'ai sauté dessus. En entrant dans le livre, je me suis dit : "Tiens, encore un qui s'appelle Pierre.". Le fil se déroulant doucement, j'ai compris qu'il n'y avait qu'un seul et même Pierre ; j'avais retrouvé mon personnage d'autrefois. Il a vieilli lui aussi, plus que moi. Il a maintenant 28 ans, j'en ai 22.
Les retrouvailles ont duré trois jours qui m'ont fait crever d'amour. J'ai beaucoup ri avec ce type pourtant incroyablement triste et angoissé, mais vivant comme je les aime. J'ai compris ce que j'avais tellement apprécié la première fois, l'humour dans la noirceur, les images, la lumière et des explosions qui te retournent l'intérieur. Sans compter les quelques alsacienneries et le paquets de références culturelles, dont je ne saisis qu'un morceau (l'auteur est professeur de français, je ne peux pas m'élever à son niveau) mais un morceau savoureux.
J'ai refermé le livre dans un frisson, en me demandant ce que je pourrais bien faire ensuite d'autre que l'amour.

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Samedi 10 mai 2014 à 18:18

Goût de vacances. Je n'ai plus l'habitude d'avoir tout ce temps libre devant moi. Je vogue dans la ville sur mon vélo, un sourire idiot aux lèvres, comme à chaque fois que je m'imprègne de Strasbourg en filant dans le vent sur mes deux roues, avec le bonus d'avoir tout mon temps. J'ai cru défaillir de plaisir quand j'ai rempli mon sac de la médiathèque et suis repartie avec un reçu long comme le bras. J'ai pris plein d'auteurs que j'aime et un inconnu dont le titre et la couverture n'étonneraient nullement certains de mes amis ("tu as vu des culs donc tu l'as pris ?"). (Entre parenthèses, c'est tout de même plus facile de se lâcher sur les emprunts quand on ne doit pas les faire valider par un ami de ses parents, comme au Bibliobus de mon village.)
Hier, le long de mon parcours à vélo, j'ai prêté attention aux bruits de la ville et j'ai savouré encore plus fort que d'habitude, changeant d'ambiance sonore, ou devrais-je dire musicale, tous les cent mètres. La place Kléber m'est devenue beaucoup plus supportable (je n'aime pas trop les quartiers commerciaux) avec les essais de guitare pour un concert qui se préparait.
Je suis mordue de Strasbourg et je me sens reine du monde quand je la traverse à vélo.
J'ai même tenté la circulation en voiture et j'étais assez fière du résultat, moi qui viens de la campagne et ait la trouille de rouler en centre-ville. J'ai d'ailleurs passé plusieurs jours sur la route ces derniers temps, ce qui à part pour mes épaules est assez agréable. Mine de rien, une petite dose de campagne de temps en temps fait du bien. Le road trip en direction des vignes à l'occasion du repas post-exams valait le coup. Un temps radieux, un bon buffet, du vin de chez notre hôte, une balade vivifiante après deux semaines d'enfermement, une superbe journée entre amis et des coups de soleils faciaux ridicules.

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Samedi 10 mai 2014 à 17:35

Tout est terminé. Les examens les plus longs de la vie sont passés, et plutôt bien. Un doute subsiste, qui m'empêchera de programmer quoi que ce soit aux dates des éventuels rattrapages, mais je suis sereine au moins jusqu'à la fin du mois. Les projets se portent bien, eux aussi. Après avoir attendu des semaines pour des réponses négatives à la mais-j'aurais-pas-de-temps-à-vous-consacrer-entre-mon-boulot-et-mes-gosses, j'ai eu la délicieuse surprise d'ouvrir un jour un mail qui me disait : "J'accepte avec plaisir de diriger votre mémoire". Grands dieux ! Avec plaisir ? Et sans hésitation ? J'ai fait le tour de mon appart à pieds joints en poussant des cris suraigus, légèrement incrédule. Depuis ce jour béni, je me sens légère. Le futur est en marche, ma dernière année a trouvé sa raison d'être ou plutôt son moyen de subsistance, et je vais pouvoir tenter de répondre à la problématique qui me taraude depuis plus d'un an. Waouh.
Soudain on se sent grands. Cette troisième année dernière moi, je remonte le temps et je me souviens de comment je me sentais au départ, et surtout de comment on s'adapte à tout. L'année des concours, je considérais les orthophonistes (jamais rencontrées de ma vie) comme des déesses et les étudiantes en orthophonie comme des demi-déesses. Puis j'ai rejoins leurs rangs et j'ai rapidement trouvé ça normal. "J'étais faite pour ça, je ne pouvais que réussir." Des conneries qu'on me racontait pour m'encourager au concours et dont je ne croyais pas un traître mot. Ce n'est pas parce que c'est moi que je vais y arriver. Et puis un jour, il faut bien accepter d'être 14ème sur 1100 et que non non, ce n'est pas une erreur. Alors on s'habitue vite à avoir réussi et à l'idée que c'était inévitable. Parallèlement est venue la désidéalisation de mes camarades étudiants en orthophonie, qui sont des gens comme moi ou presque, pas plus divins que ce que je croyais être à l'époque où je n'avais aucune confiance en mon avenir. Par contre, depuis ma première année gentiment théorique et encore peu orthophonique, j'observais les troisième année grandes et belles et déjà presque professionnelles, ne parlons même pas des quatrième année.
Et voilà que j'y suis. Que je ne suis pas plus grande qu'en première année, mais sûrement un peu plus belle, et surtout beaucoup plus instruite et expérimentée dans mon domaine. Nous voilà à jouer aux vieux cons qui ne s'intéressent plus aux événements de notre amicale, à râler quand on veut nous prendre en photo pour un trombinoscope, parce qu'on a du boulot, parce qu'on a nos amis et qu'on n'a plus envie de rencontrer d'autres étudiants ortho pour parler encore et toujours d'orthophonie, bouffer ortho toute la journée.

Et nous voilà à la place des grands, bientôt doyens de l'école, à passer des examens, les tout derniers examens, qui donnent enfin l'impression de nous préparer à un vrai métier. Et nous commençons à nous sentir responsables, à savoir que nous SAVONS, que nous serons bientôt prêts à nous lancer dans la vie active, alors que c'était à peine envisageable il y a deux ans. Je ne me croyais pas capable de réussir le concours. Je ne me croyais pas capable de rédiger mes rapports de stage. Je ne me croyais pas capable de m'intéresser à un sujet particulier pour en faire un mémoire, mener des recherches, une expérimentation et une soutenance. Et pourtant, tout arrive. C'est toujours normal, cela survient toujours au bon moment, et on finit par oublier que ça a été difficile, que ça a généré beaucoup de stress, parce que l'étape suivante est toujours d'un niveau de difficulté supérieur, et qu'on finit toujours par s'en sortir.
C'est peut-être pour cela que je dois continuer d'écrire. Pour conserver les instants de rage, de désespoir et d'angoisse, pour ne pas oublier les efforts, pour se rappeler qu'on n'a pas tout obtenu juste en claquant des doigts.

Ma survie dans ces moments-là, je la dois à ma petite bande qui s'est formée mine de rien ces derniers mois, qui a été un soutient dans le stress, des effusions de joie dans les bonnes nouvelles, et surtout une distraction parfaite pour oublier les problèmes des autres que je trimballe avec moi.
Merci les amis.

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