Samedi 26 avril 2014 à 14:05

Je vis dans un monde de silence depuis dix jours. Lundi de Pâques le monde s'est arrêté de tourner avec moi, la ville est devenue fantôme. Aujourd'hui, ce samedi ressemble à un dimanche : gris, pas une seule voiture sous mes fenêtres, pas un seul vélo sur la piste cyclable, et j'attends. J'attends et personne ne répond. J'attends des semaines des réponses négatives concernant mon mémoire, j'attends indéfiniment des réponses pour des stages, j'attends des heures la réponse à un SMS, même ma famille me fait attendre plusieurs jours pour me fournir un renseignement. Et en attendant, j'attends avec impatience que les examens soient passés. Derniers examens pour toujours - rattrapages compris.
Mon classeur de troisième année est plein à craquer. Prêt à exploser, le machin. Entre les annales, les cours évalués, les cours non évalués et les cours de l'année dernière évalués cette année, le classeur grand format +++ dégueule ses notes manuscrites, photocopies et autres schémas euristiques. Voilà une semaine que je n'ai pas essayé de le fermer. Et bien entendu, tout ce que contient ce classeur doit aussi se trouver dans nos têtes.
Ma tête, dans un étau.

Vendredi 18 avril 2014 à 10:41

Malgré les révisions, j'ai emprunté un livre et même deux. Je n'ai pas pu m'empêcher de prendre un Djian ; la médiathèque m'en offre tellement que j'en ai pour un bout de temps avant d'en avoir fait le tour, même si je ne me souviens déjà plus de ceux que j'ai lus. J'ai oublié les titres, les histoires, les personnages, et pour cause ! Les titres sont rarement indicateurs de l'histoire, l'histoire n'en est pas toujours une, quant aux personnages, ils ont toujours les mêmes prénoms et une fois sur deux le narrateur n'en a pas du tout. De toutes façons, je leur colle à tous la tronche de Jean-Hugues Anglade jeune. Même quand le narrateur s'appelle Philippe Djian, c'est la gueule d'Anglade que j'imagine. Pas assez beau gosse, Djian ; les cheveux longs sur début de calvitie ce n'est pas vraiment une bonne idée. Je les choisis sur le titre et l'année de publication (les premiers sont les meilleurs) parce qu'ils sont publiés dans une collection qui fait des quatrième de couverture vierges - impossible donc de se faire une idée, ou de se remémorer vite fait si la vie de Dan était dans Echine ou Zone Erogène. Ca devait être Zone Erogène. Mais de quoi parlait Echine alors ? Je l'ouvre ; en fait c'était celui-là. Mais alors que raconte Zone Erogène ? J'ouvre, je cherche les noms et les événements, ça me revient doucement, puis je tombe sur un Harold. Mais Harold n'était pas dans l'autre livre ? Ah si, il y a deux Harold. Tout comme il y a toujours un Richard, un Bob, un Marc, un Vincent... Ca ne m'arrête pas. Djian, c'est une présence en profondeur. Et moi, je suis capable de dévorer un roman qui n'a ni début ni fin rien que pour le ton, le vocabulaire, les images, les caractères, les vérités.

Il était temps alors que je découvre Pennac, mais il faut dire que j'en ai souvent entendu parler par le genre de personnes de ma promo que je n'aime pas entendre parler. Les trop littéraires,
ceux qui vivent trop avec leur cerveau et pas assez avec leur corps.

Jeudi 17 avril 2014 à 20:56

<< J'étais jamais passée par ici, c'est joli - tiens, y a beaucoup de prostituées, pourtant c'est désert comme coin, pas comme le quartier gare où ça circule en permanence. J'adore faire du vélo en ville ! L'autre jour j'ai encore découvert une piste cyclable magnifique, en 5 minutes dans la même ville on peut changer complètement d'ambiance !
- C'est clair ! Je pense que Strasbourg est vraiment une bonne ville pour vivre. Il y a tout ce qu'il faut, c'est agréable...
- ... tu peux habiter dans un appart' ou avoir une maison avec un jardin pas loin du centre...
- ... et au niveau culturel y a de quoi faire...
- ... c'est beau, c'est grand...
- ... sans être trop grand non plus, Paris je pourrais pas...
- Ah non c'est clair, moi non plus ! Mais même, on a beau dire, Paris, la culture, l'Histoire, tout ça, je peux te dire que la dernière nuit que j'ai passé à Paris, c'était GLAUQUE !
- Alors qu'à Strasbourg, je crois que je n'ai jamais eu peur de rentrer la nuit, même tard - à part la fois où les lampadaires se sont éteints sur mon passage, ici, à trois heures du matin.
- C'est sûr qu'à vélo on est plus rassurées aussi, mais oui, ça ne craint pas la nuit. >>

Nous atteignons la porte de Margot. Bonne nuit, à demain. Je passe à vélo sous l'échafaudage et tombe sur un barrage de flic. Périmètre de sécurité au beau milieu de ma rue, bagnoles de police partout, des flics par trois aux quatre coins.
<< Bonsoir ! Je peux rentrer chez moi ?
- Vous habitez où ?
- Là-bas.
- C'est dans le périmètre ?
- J'ai l'impression que c'est juste après.
- Bon, allez-y, longez les murs. Mais c'est bien parce que c'est vous, hein !
- Merci, bonne soirée ! >>

Incendie, appréhension d'un gros dealer ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Une heure plus tard, quand je ferme les volets, ils sont toujours là.
Mardi matin au réveil, j'allume mon téléphone et reçoit un message d'une personne à qui j'avais un jour prêté mon appartement : "Lise, tu habites bien rue de Wasselonne ? Une jeune femme a été tuée dans ta rue cette nuit, est-ce que tu vas bien, s'il-te-plaît donne-moi de tes nouvelles !".

Ma première réaction a été purement logico-mathématique : ah, c'était donc pour ça, les flics. Puis je me suis dit merde, elle m'a envoyé ce message il y a deux heures, il faut vite que je la rassure. Quand je suis sortie pour aller en cours, j'ai croisé des journalistes. J'ai diffusé la nouvelle dans ma promo et tout le monde a fait : han !
La montée à mon cerveau a été lente. On s'est blindés depuis longtemps pour tenir. Je n'ai pas plus peur de ma rue qu'avant ; il s'agit d'un meurtre entre amies. Je ne me sens pas menacée. En revanche, je me demande comment va le monde quand une adolescente de quinze ans poignarde son amie à la gorge pour une poignée de billets. Les journalistes défilent dans la rue depuis trois jours. Je passe plusieurs fois par jour devant les bouquets de fleurs en hommage à Gamze, sur le trottoir où elle est morte, et cela m'emplit d'une infinie tristesse.
Lors de mon dernier voyage, je suis passée dans le champ de la caméra et j'ai croisé une famille qui se réjouissait : "on va passer à la télé !".

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