Mercredi 23 janvier 2013 à 19:19

Le beau-père n'était pas bourré cette fois-ci. Il a ouvert la fenêtre, m'a regardée de ses yeux dégénérés, a souri - "Lise, c'est ça ? Je vous ouvre." - d'un air sympathique. J. n'a pas répondu quand j'ai toqué à la porte de sa chambre, c'est que les autres entrent habituellement sans attendre une réponse. Le vieux avait un oeil sur moi malgré sa sobriété. Combien de mauvais pères, combien de mauvais beaux-pères, pourquoi ? Chienne de vie. Je suis rentrée chez moi imprégnée de l'odeur de la chambre de J., un mélange de tabac froid, d'Air Wick automatique et de déodorant masculin. Quelle étrangeté de ramener chez soi l'odeur de chez les autres. Quelle absurdité de porter sur soi l'odeur d'une personne avec laquelle on a des relations strictement professionnelles.
Chaque fois que je m'éloigne du centre en bus, c'est la désolation. Je m'assois généralement au premier rang après la deuxième porte, à gauche, là où une espèce de ventilation crache de l'air chaud. Quand le bus est bondé, on se rend compte que la taille des sièges n'est pas tout à fait adaptée à l'accueil de deux personnes l'une à côté de l'autre. Il y a toujours des vieux qui refusent les places que leur proposent d'autres personnes, et des femmes entre deux âges, debout, qui foudroient du regard les plus jeunes assis. Il y a souvent des passagers qui crient dans vos oreilles en partant du principe qu'ils peuvent converser bruyamment puisque vous ne comprenez rien à leur langue (ça va de l'Alsacien au Turc en passant par l'Italien et le Serbe et qu'en sais-je)(c'est aussi valable dans le train d'après les expériences de Martin avec les Alsaciens), et puis les jours de malchance il y a une timbrée qui vient vous tenir la jambe (vous tenir le crachoir, vous taiIler une bavette...). Parmi les timbrées, il y a plusieurs choix, personnellement j'ai déjà eu droit à la rageuse qui rumine sur le fait que les enfants aient des places assises, "alors qu'un enfant, c'est souple, ça peut rester debout", et à l'épouvantail qui me fait un exposé de géo-esthétique ("dans le Nord ils sont grands, élancés et blonds aux yeux bleus, comme vous") en terminant par la présentation de ses canons de beauté (Victoria Silvtruc, là, et puis Johnny). Vingt minutes à contempler un surprenant assemblage de moustache et de rouge à lèvres. Dans le bus, j'ai parfois pitié de l'humanité. Et puis dans le bus, il y a ce paysage tristounet sur fond de ciel gris, qui fait que j'ai même pitié de moi-même pour me trouver là. Vous remarquerez que dans le bus, même les meilleurs d'entre nous ont cet air vague, morose, éteint.
Mais, - parce qu'il y a un mais - cette plongée hebdomadaire dans la désolation en vaut la peine. Pourquoi ? Parce que j'ai commencé un nouveau stage du genre trop bien. Hier, deuxième jour de stage, c'est moi qui ait supervisé tous les jeux et exercices des patients, sur consignes de l'orthophoniste. A 19h, j'ai regardé l'horloge et je n'en revenais pas. Le temps passe tellement plus vite quand on n'est pas en simple observation ! Ma maître de stage est géniale, son cabinet aussi, elle me sert le café et le thé avec du chocolat et des petits biscuits, me dépose sur son chemin en rentrant, que dire de plus ? Avant de se quitter, elle m'a demandé si je voulais prendre en charge un patient, c'est-à-dire préparer les séances à chaque fois et non exécuter simplement ce qu'elle me demande de faire. Trouver moi-même des outils adaptés à la rééducation du patient. Dire que je ne m'en sens pas capable serait un euphémisme. Mais c'est un sacré coup de pied dans le cul que d'envisager ça dès le début de la deuxième année. Plus tôt je m'y mettrai, plus tôt je me sentirai légitime, et mieux je serai armée pour la suite. Quitte à devoir penser rééducation, autant s'entraîner à le faire avant que ce ne soit obligatoire et noté. J'ai reçu ma première évaluation de stage aujourd'hui, ça raconte entre autres que je suis serviable et que mes capacités d'observation se mettent en place. Ha ha ha. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Donc conclusion : on s'immerge dans le travail, on remonte ses bretelles, et comme dirait Caroline de Nos Jours Heureux, on se sort les doigts du cul (franchement, c'est une de mes citations préférées).
Par http://www.prado-david.fr le Lundi 25 juillet 2016 à 5:50
Chaque fois que je m'éloigne du centre en bus, c'est la désolation. Je m'assois généralement au premier rang après la deuxième porte, à gauche, là où une espèce de ventilation crache de l'air chaud. Quand le bus est bondé, on se rend compte que la taille des sièges n'est pas tout à fait adaptée à l'accueil de deux personnes l'une à côté de l'autre.
 

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