Vendredi 1er octobre 2010 à 16:32
<< Bonjour, un aller pour Belfort, le train de 19:34 s'il-vous-plaît.
- Carte 12-25 ?
- Oui.
- Un aller simple ?
- Oui.
- [Sourire] Il est dans cinq minutes si je me trompe pas alors je vais essayer de me dépêcher... Je me dépêche. [Sourire toujours, coup d'oeil à ma carte bancaire] Mademoiselle Lise...
- Oui !
- Je suis curieux. Je suis très curieux, même un peu trop !
- Non, c'est bien !
- Ah bon, c'est vrai ?
- Oui, moi je trouve ça très bien d'être curieux !
- Vraiment ? Ah, je rencontre jamais les bonnes personnes au bon moment !
- [Sourire]
- Vous êtes à l'école à Besançon ?
- Oui, à la fac.
- Fad de ?
- Lettres.
- Histoire, psycho... ?
- Sciences du langage !
- Ouh là, faut que je fasse attention à bien parler alors !
- Non non, pour l'instant c'est... pas très compliqué.
- C'est la première année ?
- Oui.
- Ah, moi je pensais que vous aviez 22, 24 ans ! Eh non, si jeune, 19 ans !
- Dix-huit !
- Je pensais pas ! Vous faites plus, pas beaucoup, mais un petit peu quand même ! >>
Je souris, je dis d'accord, je n'ai pas le temps de lui raconter ma vie, il ne reste que quatre minutes. Et le garçon de première année de médecine, avec qui je cours pour aller sur le quai, qui me vouvoie. L'Allemand de vingt ans l'autre fois, qui croyait que j'étais plus vieille que lui. Mon voisin qui s'était étonné aussi. Seul Tarik s'était douté que j'avais dix-huit ans. Mais une semaine plus tard, il m'a dit que je n'étais pas comme les autres filles de mon âge.
Vendredi, jour maudit. Je devrais travailler mais le but de ce travail ne correspond plus à mes envies du moment. Je n'arrive pas à m'y mettre, j'ai trop de choses à penser. Et ici, je ne ressens qu'engourdissement. J'aimerais me pelotonner dans mon lit et dormir jusqu'à dimanche, me lever en fin d'après-midi pour aller chez Quentin avant de prendre mon train. Le lave-vaisselle est tombé en panne la semaine dernière, non mais expliquez-moi à quoi ça sert de rentrer si c'est pour faire encore la vaisselle à la main, en y incluant la vaisselle des autres ? Sans oublier de suspendre le linge et de passer l'aspirateur, ce genre de conneries qui sont là pour te rappeler que tu n'es pas à l'hôtel ici et que tu dois mériter de ne pas payer toi-même ton loyer. Je ne suis plus que colère, mais une colère paresseuse, ce qui m'exaspère encore plus. Un beau jour, la procrastination aura raison de moi. Elle est déjà en train de faire son chemin. Ici c'est bien trop grand, trop vide, trop calme pour que je puisse me motiver à quoi que ce soit qui nécessite le bon fonctionnement de mes méninges. Cela dit, ce n'est pas nouveau. J'ai toujours été comme ça, inapte au travail à l'avance, et cela n'a fait qu'empirer avec le temps.
Je n'arrive pas à me refaire. Penser à l'avenir sans prendre le temps de vivre le présent, très peu pour moi. Et mon présent est assez captivant pour que je veuille me détourner totalement du reste.
Non, à l'avenir, je ne rentrerais plus le jeudi soir.