Je n'en pouvais plus d'être passive. Je n'en pouvais plus d'attendre sans savoir jusqu'à quand, j'avais besoin d'un but, d'une promesse. Généralement, quand je touche le fond de la tristesse, mon instinct de survie cherche toujours les failles - en revanche, quand je touche le fond du désespoir, il n'y a plus d'instinct, rien que de l'inertie. Cercle vicieux car rien ne me rend plus folle que la stagnation. C'est censé être indolore, or c'est sûrement parce que la stagnation n'apporte aucune sensation qu'elle me répugne autant. Je suis un être de ressenti ; finalement qu'importe s'il s'agit de douleur ou de plaisir, l'essentiel est de ressentir. Etre coincée dans une situation qui n'avance pas, seule, sans recours, c'est une sorte de mort pour moi. J'avais besoin de m'occuper, j'avais besoin d'un objectif, j'avais besoin de me dire qu'au moins j'avais essayé. Un attentat suicide. Je l'ai su au moment où j'ai posé le pied dans le premier tram, les écouteurs vissés dans les oreilles. On me regardait, beaucoup. J'étais entièrement positive. J'avais une mission à réaliser, je débordais donc d'entrain et d'idées. Je pensais que tout irait bien parce que j'en avais décidé ainsi. Je pensais que ce ne serait pas long. J'avais envisagé l'éventualité de me tromper, mais je préférais rester optimiste. J'ai tracé mon chemin, sûre de moi. Et j'ai commencé à attendre, à voir passer les gens. Les femmes m'ignoraient, les hommes me disaient bonsoir, voire me proposaient d'entrer au chaud. Pourquoi les femmes seraient-elles exemptées de politesse, je vous le demande ? Je n'avais pas froid, pas tout de suite. Mon parfum me réchauffait. Le temps passait vite grâce à la musique. J'ai remarqué aussi que même devant une porte d'entrée à l'autre bout du monde, je croise quelqu'un que je connais ou ai connu. On ne peut donc jamais être anonyme sur cette planète ? La nuit s'est étoffée, j'ai commencé à voir flou. Mes gants touts neufs devenaient vieux à force d'être frottés l'un contre l'autre pour produire de la chaleur. J'ai commencé à comprendre que j'avais dépassé les bornes. Je n'y voyais plus rien du tout quand je suis repartie. J'ai provoqué la scène probablement la plus cinématographique de ma courte vie, pour rien du tout. L'apaisement peut-être d'avoir agi enfin même en vain, d'avoir compris quelle était ma place, d'avoir éprouvé. A défaut d'avoir attrapé la vie, j'aurais attrapé froid. Ma maison me semblait étrangère. Je me suis débarrassée de toutes les couches de vêtements d'hiver que je portais depuis des heures, je me suis jetée par terre contre le radiateur, la bouteille de rhum m'a fait de l'oeil, j'ai rampé sur un mètre cinquante pour la saisir et je me suis réchauffée de l'intérieur. Ou brûlée. Toutes mes forces ont fui, ne reste que la honte. Attentat suicide.
Dimanche 2 décembre 2012 à 17:18
Pour parler sérieusement, je pourrais dire que ça ne va pas mal en ce moment. J'ai de l'occupation, le temps passe très vite, mes yeux ont retrouvé un aspect normal. Mon cher Dr Arnaud ne m'a pas annoncé que des réjouissances à leur propos, mais à force, j'ai l'habitude. Je commence à le connaître, lui et le chemin du service d'ophtalmologie du Nouvel Hôpital Civil. Les consultations à l'hôpital, c'est l'usine : tu suis les flèches jusqu'à la bonne salle d'attente, tu prends un ticket comme à la boucherie pour attendre ton tour de te présenter à la secrétaire, une fois cela fait tu t'installes en salle d'attente, un(e) interne t'appelle pour faire des tests sans rapports avec le motif de ta visite, tu retournes patienter jusqu'à ce que le médecin te cherche (tu penses à apporter un bouquin, parce que cela dure un peu et qu'il n'y a pas de magazines à disposition), une fois dans son bureau il t'annonce "Installez-vous, j'arrive tout de suite" et il te laisse seul(e) pendant dix minutes, puis la consultation a enfin lieu, et tu as le droit de prendre un nouveau rendez-vous auprès de sa secrétaire à un bout de couloir, avant de retourner à l'autre bout reprendre un ticket (!) pour régler les honoraires et récupérer ta carte vitale. Toute une aventure ! (Je sais que cette histoire n'a aucun intérêt narratif, mais je tenais à l'écrire pour bien insister sur le séquençage de ces rendez-vous). Mais j'accepte ces conditions de bonne grâce, car l'hôpital a ce merveilleux avantage de ne rien coûter, et d'être juste à côté de ma fac, donc de chez moi. Bref. Ma vie est assez médicale en ce moment ; ma santé, les cours, les stages. Je ne vous ai pas encore parlé de mon stage ; en même temps, je ne peux rien en raconter puisque je suis tenue au secret médical (avouons que ça en jette de dire ça), mais je peux au moins annoncer que ça me plaît. Le stage m'a sauvée de l'ennui. Plus de mercredis hagards, plus de solitude pesante pendant deux jours au beau milieu de la semaine. Je rentre de stage à 20h le mardi soir, en sachant que j'y retourne dans moins de douze heures, et je le vis très bien. Plus le temps de penser, plus le temps d'agoniser. Le stage en lui-même est très rythmé avec un patient toutes les trente minutes, c'est bien plus supportable que deux heures de cours magistral en copie bête de powerpoint le vendredi matin à 8h. Et puis j'apprends, et puis je suis satisfaite de mon choix d'avenir. Cet avenir, je ne m'en suis toujours pas remise. Tous les jours j'apprécie la chance que j'ai d'avoir réussi à entrer dans une voie toute tracée.
Mais il est vrai que je ne peux pas me contenter de ça. Je ne fait pas partie des personnes qui vivent pour le boulot. J'en ai assez de parler d'expériences de stage avec mes camarades. Avec mes meilleurs amis, comme nous parlons aussi d'un tas d'autres choses, ce n'est pas dérangeant, mais avec ceux que je connais moins bien, je suis lasse de n'avoir qu'un seul sujet de conversation. Le pire, c'est que ce sujet de conversation est aussi devenu l'unique avec des copines que je considérais comme proches et avec lesquelles j'ai passé une bonne partie de l'été. Où sont passées nos vies ?
D'accord, j'ai commencé cet article en disant "ça va bien", et voilà que j'ai l'air d'insinuer que je n'ai plus de vie ; reprenons-nous. Je dis juste qu'il n'y a pas que le travail dans la vie, surtout pas dans la mienne. Au niveau des humeurs et du moral, c'est tout à fait correct. Au niveau social dans la promo, il commence à y avoir quelque chose qui cloche. Au niveau de la trame de fond de ma vie, je progresse. La lumière se fait et je comprends des choses sur moi-même, auxquelles personne ne doit toucher. Si j'ai envie de plonger dans les profondeurs, ça ne regarde que moi. Il est temps d'arrêter de vouloir être raisonnable. Je n'oublie pas ma devise. R.t.S.
Mais il est vrai que je ne peux pas me contenter de ça. Je ne fait pas partie des personnes qui vivent pour le boulot. J'en ai assez de parler d'expériences de stage avec mes camarades. Avec mes meilleurs amis, comme nous parlons aussi d'un tas d'autres choses, ce n'est pas dérangeant, mais avec ceux que je connais moins bien, je suis lasse de n'avoir qu'un seul sujet de conversation. Le pire, c'est que ce sujet de conversation est aussi devenu l'unique avec des copines que je considérais comme proches et avec lesquelles j'ai passé une bonne partie de l'été. Où sont passées nos vies ?
D'accord, j'ai commencé cet article en disant "ça va bien", et voilà que j'ai l'air d'insinuer que je n'ai plus de vie ; reprenons-nous. Je dis juste qu'il n'y a pas que le travail dans la vie, surtout pas dans la mienne. Au niveau des humeurs et du moral, c'est tout à fait correct. Au niveau social dans la promo, il commence à y avoir quelque chose qui cloche. Au niveau de la trame de fond de ma vie, je progresse. La lumière se fait et je comprends des choses sur moi-même, auxquelles personne ne doit toucher. Si j'ai envie de plonger dans les profondeurs, ça ne regarde que moi. Il est temps d'arrêter de vouloir être raisonnable. Je n'oublie pas ma devise. R.t.S.
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