<< J'étais jamais passée par ici, c'est joli - tiens, y a beaucoup de prostituées, pourtant c'est désert comme coin, pas comme le quartier gare où ça circule en permanence. J'adore faire du vélo en ville ! L'autre jour j'ai encore découvert une piste cyclable magnifique, en 5 minutes dans la même ville on peut changer complètement d'ambiance !
- C'est clair ! Je pense que Strasbourg est vraiment une bonne ville pour vivre. Il y a tout ce qu'il faut, c'est agréable...
- ... tu peux habiter dans un appart' ou avoir une maison avec un jardin pas loin du centre...
- ... et au niveau culturel y a de quoi faire...
- ... c'est beau, c'est grand...
- ... sans être trop grand non plus, Paris je pourrais pas...
- Ah non c'est clair, moi non plus ! Mais même, on a beau dire, Paris, la culture, l'Histoire, tout ça, je peux te dire que la dernière nuit que j'ai passé à Paris, c'était GLAUQUE !
- Alors qu'à Strasbourg, je crois que je n'ai jamais eu peur de rentrer la nuit, même tard - à part la fois où les lampadaires se sont éteints sur mon passage, ici, à trois heures du matin.
- C'est sûr qu'à vélo on est plus rassurées aussi, mais oui, ça ne craint pas la nuit. >>
Nous atteignons la porte de Margot. Bonne nuit, à demain. Je passe à vélo sous l'échafaudage et tombe sur un barrage de flic. Périmètre de sécurité au beau milieu de ma rue, bagnoles de police partout, des flics par trois aux quatre coins.
<< Bonsoir ! Je peux rentrer chez moi ?
- Vous habitez où ?
- Là-bas.
- C'est dans le périmètre ?
- J'ai l'impression que c'est juste après.
- Bon, allez-y, longez les murs. Mais c'est bien parce que c'est vous, hein !
- Merci, bonne soirée ! >>
Incendie, appréhension d'un gros dealer ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Une heure plus tard, quand je ferme les volets, ils sont toujours là.
Mardi matin au réveil, j'allume mon téléphone et reçoit un message d'une personne à qui j'avais un jour prêté mon appartement : "Lise, tu habites bien rue de Wasselonne ? Une jeune femme a été tuée dans ta rue cette nuit, est-ce que tu vas bien, s'il-te-plaît donne-moi de tes nouvelles !".
Ma première réaction a été purement logico-mathématique : ah, c'était donc pour ça, les flics. Puis je me suis dit merde, elle m'a envoyé ce message il y a deux heures, il faut vite que je la rassure. Quand je suis sortie pour aller en cours, j'ai croisé des journalistes. J'ai diffusé la nouvelle dans ma promo et tout le monde a fait : han !
La montée à mon cerveau a été lente. On s'est blindés depuis longtemps pour tenir. Je n'ai pas plus peur de ma rue qu'avant ; il s'agit d'un meurtre entre amies. Je ne me sens pas menacée. En revanche, je me demande comment va le monde quand une adolescente de quinze ans poignarde son amie à la gorge pour une poignée de billets. Les journalistes défilent dans la rue depuis trois jours. Je passe plusieurs fois par jour devant les bouquets de fleurs en hommage à Gamze, sur le trottoir où elle est morte, et cela m'emplit d'une infinie tristesse.
Lors de mon dernier voyage, je suis passée dans le champ de la caméra et j'ai croisé une famille qui se réjouissait : "on va passer à la télé !".