Dimanche 9 décembre 2012 à 18:18

Je suis un peu déphasée, je n'ai plus l'habitude des weekends de trois jours. Je n'aime vraiment pas ça, surtout quand la flemme domine à ce point. Je suis pleine de courbatures d'avoir dansé pendant des heures jeudi soir, trois jours plus tard je suis encore imbougeable. J'ai débattu avec moi-même pour me motiver à sortir avec les filles de ma classe, à une soirée solidaire (frais d'entrée reversés au Téléthon). J'avais déjà esquivé cette soirée l'année dernière, en restant au chaud chez Margaux à jouer au Trivial Pursuit. Cette fois-ci je n'avais plus d'excuses ; je ne peux pas me plaindre de voir ma vie sociale s'amenuiser et ensuite refuser les occasions de l'entretenir. Au moment de sortir, problème de garde-robe : à part deux soirées déguisées en première année, je n'avais pas été à une soirée "normale" depuis la fin des partiels de P1 de mes copines, autrement dit depuis un an et demi. Ah ouais. Je n'avais donc aucune idée du look exigé par ce genre d'événements. Et bien je peux vous dire, les amis, que je ne plais jamais autant que quand je ressemble à un sac. Explications.
Egales à nous-mêmes, nous les orthos étions sur-représentées et sur place bien avant les autres étudiants de santé. Vous savez, ce moment un peu chiant où vous arrivez quand la salle est encore quasiment vide, qu'on ne s'entend pas causer mais qu'on n'ose pas encore danser parce qu'il y a TROP de place... On se regarde dans le blanc des yeux, on vérifie nos montres, on se demande dans combien de temps les gens vont arriver, on se tortille en ne sachant pas quoi faire de nos bras. Et puis, qu'à cela ne tienne, les plus courageuses lancent le mouvement et se mettent à danser comme des petites folles. On se tâte à les imiter, on s'échauffe, on se dit qu'on ne sait pas danser sans alcool ni foule, et puis petit à petit, les membres se dérouillent, la bonne volonté prend le dessus, et on s'y met. Nous étions une vingtaine, et des personnes venues d'ailleurs commençaient à meubler un peu la salle vide et à se mouvoir également. Les sages-femmes nous mettaient minables avec leurs petites robes noires, mais qu'importe, on s'a
musait mieux de notre côté. Et puis ces deux garçons se sont fondus dans la masse, j'ai mis un peu de temps à comprendre qu'ils en avaient après moi. Je dansais avec ma filleule, qui est très jolie et bouge merveilleusement son corps, bref, qui était cent fois plus bonne que moi, mais j'ai bien du me rendre à l'évidence - aidée par toutes les copines qui me faisaient des remarques, des oeillades, des petits sourires en coin - : c'était bien autour de moi qu'ils tournaient. Je me demandais au début lequel des deux me voulait, j'espérais bien que ce soit le charmant ; c'était effectivement lui. Après avoir échangé quelques mots, joué au chat et à la souris, cru le toucher dans son orgueil de mâle en prétextant "j'ai trop chaud" quand il a voulu se rapprocher de moi, et constaté qu'il ne s'intéressait qu'à moi et moi seule, j'ai fini par me laisser aller à l'ivresse. Pas l'ivresse d'alcool, non, je n'avais bu que de l'eau, mais la musique était suffisamment forte, les lumières suffisamment aléatoires et la chaleur suffisamment insoutenable pour que les sens soient bouleversés. J'ai ri intérieurement, surtout. Je trouvais la situation plus drôle qu'autre chose. Contrairement à moi, le jeune homme n'avait pas bu que de l'eau, aussi n'était-il pas pleinement en possession de ses moyens, ce qui se remarquait seulement par quelques incohérences. Le sourire Colgate innocent qu'il me lançait chaque fois que nos regards se croisaient n'avait rien à voir avec la façon dont ses mains s'accrochaient à mon corps quand il se collait dans mon dos. Je fermais les yeux pour éviter de voir mes copines. Pourquoi, parmi toutes les jolies filles qui m'accompagnaient, était-ce sur moi qu'il avait jeté son dévolu ? Je souriais intérieurement, savourant la nouveauté. Si je vous raconte ça ce soir, c'est par surprise. C'était la première fois qu'un garçon mignon m'abordait juste après m'avoir regardé danser. Je n'ai pas du tout le rythme dans la peau, je le sais, et je n'ai jamais cru les quelques imbéciles en manque qui m'ont accostée (à Besançon, parce que depuis l'orthophonie, faut pas déconner) avec du "tu danses bien" juste destiné à attraper la proie dans son filet. Et même sans parler de bouger son corps avec grâce, j'ai beau avoir fait quelques progrès physiques depuis un petit temps (genre arrêter de couper mes cheveux trop courts et éradiquer mon acné), je ne me considère toujours pas comme une fille pouvant attirer les regards. Je n'ai pas l'habitude qu'on vienne vers moi. Ce garçon, je m'en fiche un peu. Il était beau, certes, mais le peu que j'ai appris de lui ne m'a pas vraiment donné envie de le connaître. Je n'ai pas envie de me forcer à faire sa connaissance juste parce que l'intérêt qu'il m'a porté a fait du bien à mon ego. Mais je vais garder ce souvenir au chaud, pour les jours de découragement et de manque de confiance en moi. Et pour me rappeler que les choses n'arrivent jamais quand on s'y attend.

Jeudi 6 décembre 2012 à 21:37

M'appeler quand je fais la cuisine et me couper en plein milieu de The End  - moment sacré entre tous -, c'était déjà beaucoup. M'appeler quand je fais la cuisine et me couper en pleine transe the endienne pour me dire en gros "il faut que tu rentres à la maison demain pour la Saint Nicolas, par contre samedi tu sais qu'on va chez des amis pour une soirée qui te branchait pas mal, mais j'ai tout fait pour que tu ne sois pas invitée, les commandes sont passées donc tu ne pourras de toutes façons pas te rajouter, tu vas donc rentrer dans notre trou paumé pour passer ton samedi soir seule à la maison", c'était beaucoup trop. Quand j'ai remis la musique en route, c'était pile au moment de :
<< Father ?
- Yes, son ?
- I want to kill you. >>


Mercredi 5 décembre 2012 à 21:20

Je n'en pouvais plus d'être passive. Je n'en pouvais plus d'attendre sans savoir jusqu'à quand, j'avais besoin d'un but, d'une promesse. Généralement, quand je touche le fond de la tristesse, mon instinct de survie cherche toujours les failles - en revanche, quand je touche le fond du désespoir, il n'y a plus d'instinct, rien que de l'inertie. Cercle vicieux car rien ne me rend plus folle que la stagnation. C'est censé être indolore, or c'est sûrement parce que la stagnation n'apporte aucune sensation qu'elle me répugne autant. Je suis un être de ressenti ; finalement qu'importe s'il s'agit de douleur ou de plaisir, l'essentiel est de ressentir. Etre coincée dans une situation qui n'avance pas, seule, sans recours, c'est une sorte de mort pour moi. J'avais besoin de m'occuper, j'avais besoin d'un objectif, j'avais besoin de me dire qu'au moins j'avais essayé. Un attentat suicide. Je l'ai su au moment où j'ai posé le pied dans le premier tram, les écouteurs vissés dans les oreilles. On me regardait, beaucoup. J'étais entièrement positive. J'avais une mission à réaliser, je débordais donc d'entrain et d'idées. Je pensais que tout irait bien parce que j'en avais décidé ainsi. Je pensais que ce ne serait pas long. J'avais envisagé l'éventualité de me tromper, mais je préférais rester optimiste. J'ai tracé mon chemin, sûre de moi. Et j'ai commencé à attendre, à voir passer les gens. Les femmes m'ignoraient, les hommes me disaient bonsoir, voire me proposaient d'entrer au chaud. Pourquoi les femmes seraient-elles exemptées de politesse, je vous le demande ? Je n'avais pas froid, pas tout de suite. Mon parfum me réchauffait. Le temps passait vite grâce à la musique. J'ai remarqué aussi que même devant une porte d'entrée à l'autre bout du monde, je croise quelqu'un que je connais ou ai connu. On ne peut donc jamais être anonyme sur cette planète ? La nuit s'est étoffée, j'ai commencé à voir flou. Mes gants touts neufs devenaient vieux à force d'être frottés l'un contre l'autre pour produire de la chaleur. J'ai commencé à comprendre que j'avais dépassé les bornes. Je n'y voyais plus rien du tout quand je suis repartie. J'ai provoqué la scène probablement la plus cinématographique de ma courte vie, pour rien du tout. L'apaisement peut-être d'avoir agi enfin même en vain, d'avoir compris quelle était ma place, d'avoir éprouvé. A défaut d'avoir attrapé la vie, j'aurais attrapé froid. Ma maison me semblait étrangère. Je me suis débarrassée de toutes les couches de vêtements d'hiver que je portais depuis des heures, je me suis jetée par terre contre le radiateur, la bouteille de rhum m'a fait de l'oeil, j'ai rampé sur un mètre cinquante pour la saisir et je me suis réchauffée de l'intérieur. Ou brûlée. Toutes mes forces ont fui, ne reste que la honte. Attentat suicide.

Dimanche 2 décembre 2012 à 17:18

Pour parler sérieusement, je pourrais dire que ça ne va pas mal en ce moment. J'ai de l'occupation, le temps passe très vite, mes yeux ont retrouvé un aspect normal. Mon cher Dr Arnaud ne m'a pas annoncé que des réjouissances à leur propos, mais à force, j'ai l'habitude. Je commence à le connaître, lui et le chemin du service d'ophtalmologie du Nouvel Hôpital Civil. Les consultations à l'hôpital, c'est l'usine : tu suis les flèches jusqu'à la bonne salle d'attente, tu prends un ticket comme à la boucherie pour attendre ton tour de te présenter à la secrétaire, une fois cela fait tu t'installes en salle d'attente, un(e) interne t'appelle pour faire des tests sans rapports avec le motif de ta visite, tu retournes patienter jusqu'à ce que le médecin te cherche (tu penses à apporter un bouquin, parce que cela dure un peu et qu'il n'y a pas de magazines à disposition), une fois dans son bureau il t'annonce "Installez-vous, j'arrive tout de suite" et il te laisse seul(e) pendant dix minutes, puis la consultation a enfin lieu, et tu as le droit de prendre un nouveau rendez-vous auprès de sa secrétaire à un bout de couloir, avant de retourner à l'autre bout reprendre un ticket (!) pour régler les honoraires et récupérer ta carte vitale. Toute une aventure ! (Je sais que cette histoire n'a aucun intérêt narratif, mais je tenais à l'écrire pour bien insister sur le séquençage de ces rendez-vous). Mais j'accepte ces conditions de bonne grâce, car l'hôpital a ce merveilleux avantage de ne rien coûter, et d'être juste à côté de ma fac, donc de chez moi. Bref. Ma vie est assez médicale en ce moment ; ma santé, les cours, les stages. Je ne vous ai pas encore parlé de mon stage ; en même temps, je ne peux rien en raconter puisque je suis tenue au secret médical (avouons que ça en jette de dire ça), mais je peux au moins annoncer que ça me plaît. Le stage m'a sauvée de l'ennui. Plus de mercredis hagards, plus de solitude pesante pendant deux jours au beau milieu de la semaine. Je rentre de stage à 20h le mardi soir, en sachant que j'y retourne dans moins de douze heures, et je le vis très bien. Plus le temps de penser, plus le temps d'agoniser. Le stage en lui-même est très rythmé avec un patient toutes les trente minutes, c'est bien plus supportable que deux heures de cours magistral en copie bête de powerpoint le vendredi matin à 8h. Et puis j'apprends, et puis je suis satisfaite de mon choix d'avenir. Cet avenir, je ne m'en suis toujours pas remise. Tous les jours j'apprécie la chance que j'ai d'avoir réussi à entrer dans une voie toute tracée.
Mais il est vrai que je ne peux pas me contenter de ça. Je ne fait pas partie des personnes qui vivent pour le boulot. J'en ai assez de parler d'expériences de stage avec mes camarades. Avec mes meilleurs amis, comme nous parlons aussi d'un tas d'autres choses, ce n'est pas dérangeant, mais avec ceux que je connais moins bien, je suis lasse de n'avoir qu'un seul sujet de conversation. Le pire, c'est que ce sujet de conversation est aussi devenu l'unique avec des copines que je considérais comme proches et avec lesquelles j'ai passé une bonne partie de l'été. Où sont passées nos vies ?
D'accord, j'ai commencé cet article en disant "ça va bien", et voilà que j'ai l'air d'insinuer que je n'ai plus de vie ; reprenons-nous. Je dis juste qu'il n'y a pas que le travail dans la vie, surtout pas dans la mienne. Au niveau des humeurs et du moral, c'est tout à fait correct. Au niveau social dans la promo, il commence à y avoir quelque chose qui cloche. Au niveau de la trame de fond de ma vie, je progresse. La lumière se fait et je comprends des choses sur moi-même, auxquelles personne ne doit toucher. Si j'ai envie de plonger dans les profondeurs, ça ne regarde que moi. Il est temps d'arrêter de vouloir être raisonnable. Je n'oublie pas ma devise. R.t.S.

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Vendredi 30 novembre 2012 à 18:21

Cette bouteille de rhum sur ma table de chevet. J'ai débarqué en cours d'anglais avec une heure et demi de retard, comme une fleur. Malgré seulement quelques minutes de sommeil derrière les paupières, et la faim tenace qui me collait au ventre, je débordais d'énergie. Un air béat complètement improbable scotché au visage, une démarche de reine. Je me sentais grande, et belle, et lumineuse. La preuve m'en a été donnée par les regards s'accrochant à mon sillage. J'ai souvent lu que les femmes comblées se remarquaient à leur allure. Ce ne doit pas être qu'une légende.
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